Faire exister une archive visuelle de trente ans avec ses photographes

Une expérimentation documentaire et féministe. Invité par le GRAPh (Groupe de Recherche et d’Animation Photographique) à participer au festival Fictions documentaires, le collectif Penser l'urbain par l'image décide d'explorer les archives des ateliers photographiques menés par cette association d'éducation populaire depuis plus de 30 ans. Mais comment accéder à ce fonds d'images amateurs ? De quelle manière existe-t-il ? Comment le rendre visible ? Le mettre en partage ?

Résidence

Dans les méandres d’un disque dur qui nous avait été confié, nous initions une collecte d’images. Une fois sur place, nous invitons les personnes liées au GRAPh à venir déposer leurs photographies et en parler avec nous. Les entretiens se prolongent par une séquence filmique plaçant un individu devant une de ses images. Ces différents temps permettent d’amorcer une proposition de classification, sorte d'index collaboratif pour une médiathèque à venir dont nous exposons un prototype fictionnel à l'issue de l'expérience.

Recherche-création

Processus d'un travail expérimental en temps limité

Invitée par le GRAPh pour une "carte blanche", la photographe Hortense Soichet la transforme en occasion de résidence de recherche-création pour le collectif Penser l'urbain par l'image dont elle est membre. Collecter les photographies amateurs réalisées dans le cadre d'ateliers existant parfois depuis plus de 30 ans relève a priori d'une aventure au long cours. Nous n'avions pas ce temps, il fallait inventer une manière de faire vite, moins d'une semaine, pour initier une quête qui pourrait être poursuivie ou reconduite ailleurs, sous d'autres formes. La proposition s'amorce en amont mais le travail prend corps à Carcassonne, entre les locaux du GRAPh et de la Chapelle des jésuites toute proche. Elle accueille l'exposition qui clôture cet atelier expérimental. Démarches de recherche en art visuel et en sciences humaines et sociales s'entrelacent autour de cette quête documentaire d'un fonds photographique et de ce qu'il peut révéler de l'ancrage territorial de ses photographes et de leurs rapports aux images.

L'installation artistique finale ne correspond pas à la seule séquence de restitution de ce travail, elle en conditionne la conduite, conceptuellement et matériellement. L'intensité de l'expérience imaginée et éprouvée avec l'horizon d'une exposition publique catalyse le processus de travail. Temporalité resserrée, contraintes liées aux usages de la photographie et de la vidéo, attention accordée au dialogue avec les personnes impliquées ont constamment orienté nos modes de faire et nos choix plastiques.

Contre-regards documentaires

Éducation populaire et perspectives féministes

Impliqué dans la lutte contre l'exclusion par la pratique photographique, le GRAPH déploie avec des artistes une démarche d'éducation populaire auprès d'une multitude de publics fragiles ou relégués et d'amateurs. Regroupés en ateliers, ils composent divers groupes au sein de ce collectif attaché à promouvoir une réappropriation de soi et de ses conditions d'existence par un moyen d'expression visuel qui ouvre aussi la possibilité d'une prise de parole renouvelée.

Les multiples échanges organisés au cours de la collecte photographique ont permis de donner mais surtout d'interroger le sens des images recontextualisées. Ils ont ouvert sur l'expérimentation d'une indexation collaborative par catégories et mots-clés, dont la formalisation provisoire est une invitation à la manipulation voire à la déconstruction. Cette démarche interroge les processus habituels de hiérarchisation des savoirs et des normes dominantes de représentation. Elle a fait se croiser la démarche émancipatrice du GRAPh avec l’approche féministe de notre propre collectif : l’affirmation de l’origine située des savoirs (Dona Haraway, Sandra G. Harding, Delphine Gardey, Joan Scott, Helen Verran), l’intérêt d’une démultiplication de points de vue construits et de leur rencontre. Incarnée dans un prototype de médiathèque, équipement urbain de la mise en partage par excellence, elle vise à produire et à agencer de possibles contre-regards documentaires.

Performance des archives visuelles

Dans cette quête du "fonds photographique du GRAPh" et de la manière de le rendre accessible, nous n'avons pas cherché à agir en archivistes ou en documentalistes. La collecte des photographies et les multiples classements dont elles ont fait l'objet nous ont plutôt conduites à questionner les modes d'existence des archives visuelles. Il ne s'agissait pas seulement de rendre visible un fonds disséminé, mais bien de le faire advenir, à partir des réalisations passées, exhumées des disques durs privés, des ordinateurs partagés de l'association, des paroles de commentaires. Se placer et se déplacer "face" aux images (Georges Didi-Huberman), en tenant compte des situations dont elles sont issues ou qu'elles créent, conduit à produire de nouvelles images, par des changements de médiums, un travail d'impression, de mise en relation multi-écran, de projection, par la réalisation d'un film, par une mise en espace.

C'est son activation sous certaines condition qui fait d'une image photographique, une archive visuelle. Exposée, elle devient performance.

La journée d'études Archives installatives organisée en septembre 2019 à l'Institut d'ethnologie de Vienne, a permis de prolonger les échanges sur les divers modes d'activation et d'existence d'archives photographiques et filmiques.

Collectifs en jeu

Penser l'urbain par l'image

Le collectif franco-allemand Penser l’urbain par l’image réunit depuis 2012, au sein du Labex Futurs urbains, des anthropologues, architectes, géographes, sociologues, urbanistes également photographes et/ou vidéastes et des artistes pour explorer de manière expérimentale les potentialités du film et de la photographie dans la recherche urbaine.

Re-prises s'inscrit dans le programme de recherche-création exploratoire "Des contre-regards documentaires ? Les mondes urbains photographiés et filmés par les femmes".

Ont participé à ce projet : Florine Ballif, Alexa Färber, Lucinda Groueff, Anne Jarrigeon, Clément Luccioni, Laetitia Overney, Mina Saidi-Sharouz, Hortense Soichet avec la complicité d'Aurélie Pétrel

Site web du collectif PUI

Le Groupe de Recherche et d’Animation Photographique (GRAPh)

Association d’éducation populaire, le GRAPh (Groupe de recherche et d’animation photographique) développe depuis plus de 30 ans à Carcassonne des programmes d’actions culturelles et artistiques de lutte contre l'exclusion par le moyen d’ateliers de photographie destinés à une diversité de publics.

Ont participé à ce projet : les ateliers "Déficients visuels", "Professionnalisation", "Création" du Graph et les étudiantes et étudiants du DU Documentaire et écritures numériques.

Site web du GRAPh

Le festival Fictions documentaire

Pour l'édition 2018 du festival, la recherche-création Re-prises se formalise en une exposition, composée d’une installation photographique multi-écrans, de tirages manipulables et d’une vidéo de 45 minutes. Cette démarche de réflexion et de figuration d’une production individuelle et collective réactivée et performée, le temps d’une résidence, est présentée durant le mois du festivel, en novembre 2018. Une première rencontre organisée à l'ouverture de l'exposition laisse cours aux échanges entre le critique photographique Christian Gattinoni, l’ancienne directrice de centre d’art Julie Martin, les visiteurs et le collectif Penser l'urbain par l'image.

Site web du festival

Carte blanche

En 2017, l’équipe de la programmation du festival constituée des adhérents du Graph, avec la complicité de Christian Gattinoni a donné carte blanche à Hortense Soichet pour proposer une exposition lors de l'édition suivante. Elle a décidé d’inviter les membres du collectif Penser l’urbain par l’image dont elle fait partie pour provoquer la rencontre dont ce projet est issu.


Références

  • Didi-Huberman G., Devant l'image. Questions posées aux fins d'une histoire de l'art, Minuit, 1990.
  • Haraway D. J., « Savoirs situés : la question de la science dans le féminisme et le privilège de la perspective partielle », dans Allard L., Gardey D. & N. Magnan (dir.), Manifeste cyborg et autres essais. Sciences - Fictions - Féminismes, Paris, Éditions Exils, 2007.
  • Harding S. G., Whose science ? Whose knowledge ? : Thinking from women’s lives, Ithaca NY, Cornell University Press, 1991.
  • Latour B., Enquêtes sur les modes d'existence. Une anthropologie des Modernes, Paris, Editions de la découvertes, 2012.
  • Scott, J., Gender : A useful category of historical analysis, in Gender and the politics of history, New York, Columbia University Press, 1998, pp. 28-50.
  • Verran, H., "On assemblage", Journal of Cultural Economy, 2009, 2:1-2, 169-182.